Le département musique du Conservatoire royal de Liège est organisé en deux cycles. Le premier cycle (180 crédits) conduit au grade académique de Bachelier de qualification ou de Bachelier de transition qui donne accès aux études de Master. Le deuxième cycle (120 crédits) conduit au grade académique de Master. Le Conservatoire royal de Liège dispense également des Agrégations permettant aux titulaires d’un Master à finalité spécialisée d’obtenir le grade d’Agrégé de l’Enseignement Secondaire Supérieur.
Kathleen Coessens, directrice du Domaine de la Musique, Conservatoire royal de Liège.
Discours du 6 octobre 2025
Mesdames, messieurs, musiciennes, musiciens, collègues
Voilà une nouvelle année académique, c’est une fête, un moment phare dans la vie
de ces jeunes qui choisissent d’entrer en école supérieur artistique, au
Conservatoire royal de Liège.
D’un côté il y a ces jeunes. Des jeunes qui poussent les frontières de leur monde d’
adolescence, de jeunes adultes qui cherchent à pouvoir s’exprimer dans un langage
qui part du corps, de la voix, des senses et de l’intellect, pour les musiciens il s’agit
de ce langage des sons, des rythmes, des mélodies, d’une maitrise de perceptions,
d’interprétation, de tradition, d’expérimentation et de création. Des jeunes qui ont
non seulement une passion, mais aussi une vocation. Des jeunes qui veulent aller
au delà de leurs propres repères vers une profondeur qu’ils ou elles ne peuvent que
sous-entendre en ce moment. Des jeunes pour qui 25 à 50 minutes hebdomadaires
de cours de musique ou 25 à 50 minutes journalières de pratique, ne suffisent pas,
qui rêvent que la musique soit plus qu’une parenthèse, qu’elle soit une vie.
De l’autre côté, il y a le conservatoire; un conservatoire qui existe depuis 199 ans, et
qui fêtera son bicentenaire l’année prochaine. Un conservatoire qui offre un territoire
sensible mais solide, à la croisée de l’art, de la pédagogie et de la transmission et de
ce fait, se doit d’avoir une conscience humaine et citoyenne. Un conservatoire qui
met en oeuvre un enseignement artistique qui évolue et qui se questionne.
Cette année, notre Conservatoire participe à une évaluation institutionnelle. Loin
d’être une simple étape administrative, il s’agit d’un temps précieux qui nous permet
de prendre du recul, de mettre en lumière ce que nous faisons de mieux et de
réfléchir collectivement à ce que nous pouvons améliorer. Chaque membre de notre
communauté – étudiants, enseignants, personnel administratif et ouvrier – a un rôle
à jouer dans ce processus. Vos idées, vos observations et votre engagement sont
essentiels pour construire une vision commune et continuer à renforcer la qualité de
notre institution. Cette évaluation nous offre l’occasion de clarifier nos engagements,
de valoriser le travail accompli et de consolider ce qui fait la richesse de notre
Conservatoire. (Stefan Hejdrowski, coordinateur qualité CrLg)
Un sujet primordiale de questionnement concerne la transmission d’une tradition de
musique dans le 21ième siècle. Nous héritons d’une tradition qui a traversé des
siècles, avec des temps de lumière, des temps de révolution, des temps de guerre,
des temps de développements technologiques incroyables.
L’étymologie latine du mot tradition exprime l’idée d’une transmission, passer
quelque chose, un savoir, une pratique, un contenu culturel, du passé au présent, et
donc de s’inscrire dans une temporalité et un devenir culturel. Ce qui se passe
devient ainsi héritage qui consiste en un double mouvement de transmission: la
tradition forme la communauté des individus qui en héritent et cett communauté
héritière garantit la continuité de la tradition. Mais comment?
Nous avons hérité d’une tradition qui contient des relations parfois bien complexes
envers l’innovation, l’expérimentation, la création.
Nous avons hérité d’une tradition qui, aussi riche qu’elle est, a manqué de diversité
et nous amène à des questionnement entre les générations, les genres et les
cultures. On peut penser à une liste de compositrices, d’interprètes féminines,
d’orchestres mixtes qui manquent. On se doit de questionner l’échange avec
d’autres cultures quand cette tradition se meut trop en appropriation culturelle et pas
en recherche de dialogue et de métissage artistique. On doit chercher une flexibilité
par rapport à une tradition qui se fige dans une systématisation de l’enseignement,
qui se plie dans une soumission à des décrets parfois loin des pratiques ou qui
deviendrait dominée par une technologie croissante.
Mais pourquoi juger la tradition même, si c’est plutôt la manière de transmettre et la
manière de recevoir elles-mêmes qui peuvent porter aussi bien espoir que
désespoir, liberté ou servilité. C’est là que le conservatoire doit reste vigilant, ouvert
d’esprit, accueillant artistiquement et humainement. Ce n’est que librement que l’on
peut recevoir et assumer pleinement un héritage, ce n’est qu’avec un investissement
sociétal et individuel profond que la réception peut être autre chose que
conformisme ou aveuglement.
L’enseignement artistique supérieur exige donc une évolution de la place de cette
tradition et de la culture dans la société. En écoutant les questions qu’ont les jeunes
générations de musiciens et musiciennes par rapport à cet héritage; en questionnant
les intentions des compositeurs, compositrices, des interprètes; en étant ouvert aux
messages engagées et vulnérables que des oeuvres musicales véhiculent, en
dépassant les clivages habituels; en accueillant les expérimentations et les
Créations.
Et voilà que ce sont les oeuvres jouées aujourd’hui qui ont inspirées mon discours:
le deuxième quattuor de Peteris Vasks, naturale de Berio et ce cadeau
d’improvisation que ce trio de professeurs , Vincent Royer, Rudy Matthey et Fabian
Fiorini, offre.
Vasks a composé son quatrième quatuor au cours de la dernière année du siècle
dernier (1999) afin de célébrer le 90e anniversaire de sa mère, qui avait vécu les
bouleversements extraordinaires que le XXe siècle avait apportés à la Lettonie, son
pays qui était en première ligne lors des deux guerres mondiales.
Il dit : « Il y a eu tant d’effusions de sang et de destructions, et pourtant, la puissance
de l’amour et l’idéalisme ont contribué à maintenir l’équilibre du monde. Je voulais
parler de ces choses dans mon nouveau quatuor, non pas de manière indirecte,
mais avec une émotion et une sensibilité directes ». Et, en effet, des mélodies
folkloriques au chaos et vice-versa qu’il crée dans ce quatrième quatuor, nous
sommes transportés à travers une myriade de sentiments.
Les thèmes principaux qu’il explore dans ses œuvres musicales les plus récentes
sont la relation réciproque entre l’homme et la nature, la beauté de la vie et la
destruction écologique et morale imminente de ces valeurs. “Quand je pense à la vie
contemporaine, il m’est impossible de ne pas réaliser que nous sommes au bord du
précipice. Elle est effroyablement proche. Mais est-il utile de composer une œuvre
qui ne fait que refléter notre situation, à deux doigts de l’extinction? À mon avis, tout
compositeur honnête cherche un moyen de sortir de la crise de son époque, vers
l’affirmation, vers la foi. Il montre comment l’humanité peut surmonter cette passion
pour l’autodestruction qui s’enflamme de temps à autre en une colonne de fumée
noire.”
L’œuvre Naturale de Luciano Berio, une composition pour alto, percussions et bande
explore un contexte sonore lié à la thématique de la guerre et la musique folklorique
Sicilienne, particulièrement dans le sens d’une réflexion sur la condition humaine
face à la violence. La bande sonore est l’enregistrement d’un chanteur populaire de
Palerme, effectué par le compositeur lui-même en 1968, pour l’une de ses voix dans
cette pièce contemporaine. Cette utilisation du matériau ethnique, en particulier la
voix d’un chanteur du peuple, est significative car le compositeur avait une profonde
relation émotionnelle et une constance dans son intérêt pour la musique
traditionnelle et folklorique.
Il se réfère à une tradition en embrassant l’expérimentation:
“Mes rapports avec la musique folklorique sont souvent très émotionnels, dit-il.
Quand je l’utilise, je suis toujours saisi par l’excitation de la découverte. Je reviens
encore et toujours à la musique traditionnelle parce que j’essaie de créer un lien
entre elle et mes propres idées sur la musique. Mon rêve, dont je sais qu’il est tout à
fait utopique, serait d’unifier la musique folklorique et notre musique – d’établir un
vrai passage, perceptible et compréhensible, entre ces vieilles musiques populaires,
si proches du labeur quotidien des gens, et notre musique.” (“Luciano Berio en cinq
œuvres – Balises – Le magazine de la Bpi”)
Le compositeur a exploré les aspects innovants de la musique électroacoustique et
lié cela à la musique folklorique et l’esprit géopolitique du temps, ce qui a conduit à
la création de cette pièce novatrice.
Et puis nous allons terminer ce concert par une intensité et joie de faire de la
musique par le trio de nos profs improvisateurs.
Je remercie l’OPRL, je remercie toutes ces générations de jeunes et moins jeunes
générations de musiciens et musiciennes, vous le publique, mélomanes engagées, curieux, ouverts, et vous les forces administratives et ouvrières et les enseignants
qui ont rendu possible la réalisation de ce concert.
Continuons à pousser les frontières et à s’engager humainement et artistiquement,
aussi et surtout dans l’enseignement artistique supérieur, et spécifiquement dans ce
Conservatoire.
Je vous invite à écouter.
Kathleen Coessens, directrice du Domaine de la Musique, Conservatoire royal de Liège.
Discours du 6 octobre 2025